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L’ENQUETE INTERNE EN CAS DE HARCELEMENT MORAL

1. Principes généraux

Selon l’article L.1152-4 du Code du travail, l’employeur doit assurer la santé et la sécurité de ses salariés, ce qui implique de prendre toutes les mesures nécessaires, notamment en cas de dénonciation de faits de harcèlement moral.

Dès lors qu’il est informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, l’employeur doit prendre les mesures immédiates propres à le faire cesser (Cass. Soc. 1 er janvier 2016 n° 14-19.702).

Toute inertie de la part de l’employeur peut lui être reprochée (Cass. Soc. 17 octobre 2012 n° 11-18.884). Plus encore, sa responsabilité ne peut être écartée que s'il a mis en œuvre toutes les mesures de prévention prévues par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail, notamment des actions d'information et de formation, et a mis fin au harcèlement dès qu'il en a été avisé (Cass. Soc. 1 er juin 2016 n° 14-19.702)

Ainsi, l’ouverture d’une enquête interne est fortement recommandée et, en pratique, souvent attendue dès lors que des faits de harcèlement sont signalés dans une entreprise.

Toutefois, il convient de préciser que la Cour de cassation n’a pas consacré de principe d’obligation systématique d’enquête interne, laissant aux juges du fond l’appréciation des mesures prises par l’employeur. (Cass. Soc. 12 juin 2024 n° 23-13.975)

2. Déroulement de l’enquête interne : impartialité, loyauté, contradictoire

L’enquête interne doit être impartiale, loyale et respectueuse des droits de la défense. La jurisprudence récente précise que l’employeur peut diligenter l’enquête à l’insu du salarié mis en cause, sans que cela constitue un procédé déloyal, et qu’il n’est pas tenu d’interroger l’ensemble des collaborateurs, même si les faits de harcèlement sont supposés concerner tous les collègues.

L'enquête interne menée par l'employeur de façon unilatérale, partiale et déloyale doit être écartée des débats. Ainsi il a été jugé que les résultats de l'enquête interne conduite par « un cadre de l'entreprise [la secrétaire administrative de l'entreprise] mandaté par l'employeur pour procéder à une enquête sur les suspicions de fautes d'un salarié devaient être écartés. (Cass. Soc. 9 novembre 2017, n°16-15.515)

C'est au salarié qu'il revient d'apporter des éléments permettant de « mettre en doute la sincérité et la loyauté » de l’enquête interne. (Cour d’Appel de Rouen 11 janvier 2018, n° 15/05639 et Cour d’Appel de Paris 29 août 2018, n° 16/13810).

En revanche, le seul fait qu'une enquête ait été diligentée par un directeur des ressources humaines, sans concours des élus du personnel, ne dispense pas le juge d'en apprécier les mérites et d'examiner les éléments probants obtenus par ce moyen (Cass. Soc. 1er juin 2022, n° 20-22.058. – Cass. Soc. 29 juin 2022, n° 21-11.437)

L’'employeur qui diligente une enquête interne à la suite d'une dénonciation de faits de harcèlement moral n'a pas l'obligation d'interroger l'ensemble des collaborateurs du salarié accusé de harcèlement », peu important que la lettre de licenciement vise un harcèlement envers tous les collaborateurs (Cass. Soc. 29 juin 2022, n° 21-11.437).

La procédure n’est pas obligatoirement contradictoire.

La personne accusée de harcèlement peut ne pas être informée ni entendue lors de l’enquête (Cass. Soc. 29 juin 2022, n°20-22.220).

Toutefois, il est recommandé, pour garantir l’objectivité et la solidité du rapport d’enquête, d’entendre la victime présumée, la personne mise en cause, les témoins et toute personne dont l’audition serait demandée par l’une des parties.

3. Intervention de l’avocat enquêteur :

Depuis 2016, il est admis que les avocats peuvent être mandatés pour conduire des enquêtes internes en entreprise, y compris en matière de harcèlement moral. Le Barreau de Paris a d’ailleurs édicté des recommandations déontologiques spécifiques à cette activité, réactualisées en 2019 ("Le Conseil de l'Ordre des avocats du Barreau de Paris a voté en 2016 puis en 2019 des résolutions qui, d'une part, inscrivent l'enquête interne dans le champ d'activité professionnelle des avocats et qui, d'autre part, édictent des recommandations déontologiques pour cette activité en plein développement. Depuis 2016, les entreprises peuvent ainsi externaliser l'enquête interne en faisant intervenir un avocat. Le barreau de Paris a complété ses recommandations en décembre 2019. Celles-ci garantissent pour les personnes auditionnées que l'enquête sera menée avec une éthique forte lors des investigations.

L’avocat enquêteur agit comme un expert, dans une mission d’assistance et de conseil, et doit respecter les principes essentiels de la profession : indépendance, conscience, humanité, loyauté, délicatesse, compétence, prudence ("L'avocat chargé d'une enquête interne se doit, en effet, d'observer en toute circonstance nos principes essentiels (de conscience, d'indépendance, d'humanité, de loyauté, de délicatesse, de modération, de compétence et de prudence »)

L’avocat enquêteur explique sa mission et le caractère non coercitif de celle-ci aux personnes auditionnées. Il agit pour le compte de son mandant (généralement l’entreprise) et remet son rapport exclusivement à ce dernier ("Avant toute mission, l'avocat chargé d'une enquête expliquera sa mission et le caractère non coercitif de celle-ci. L'avocat agit pour le compte de celui qui l'a mandaté étant précisé que son rapport sera remis exclusivement à celui qui l'a mandaté qui sera ensuite libre de sa transmission à un tiers.")

Les personnes auditionnées doivent être informées de la possibilité de se faire assister d’un avocat, en particulier si elles sont susceptibles d’être mises en cause à l’issue de l’enquête

L’avocat enquêteur doit également rappeler la distinction entre son rôle (mandaté par l’entreprise) et l’éventuel avocat propre du salarié auditionné, et informer sur les conséquences du secret professionnel dans ce cadre.

4. Respect des droits fondamentaux et de la vie privée

Les droits du salarié auditionné sont protégés.

Ce dernier a notamment :

      Le droit de se taire,
      Le droit de ne répondre qu’à certaines questions,
      Le droit de quitter l’entretien,
      Le droit de ne pas s’auto-incriminer,
      Le droit de relire/refuser de signer le procès-verbal de son audition.

L’enquête doit respecter la confidentialité, notamment l’identité du lanceur d’alerte, du mis en cause et la teneur des faits dénoncés, sous peine de sanctions pénales ("l’entreprise doit être très vigilante chaque fois qu’elle traite une alerte, car l’article 9 de la loi Sapin 2 lui impose, ainsi qu’à toute personne ayant à en connaître, de s’assurer que l’identité du lanceur d’alerte, le contenu des faits dénoncés ainsi que l’identité du ou des mis en cause restent confidentiels, faute de quoi sont encourues une peine d’emprisonnement de deux ans ainsi qu’une amende de 30 000 euros pour la personne physique, et une amende de 150 000 euros pour la personne morale."). La collecte et le traitement des données personnelles doivent être réalisés dans le respect du RGPD et de la loi Informatique et Libertés ; l’information préalable des personnes concernées et du CSE est obligatoire.

La collecte et le traitement des données personnelles doivent être réalisés dans le respect du RGPD et de la loi Informatique et Libertés ; l’information préalable des personnes concernées et du CSE est obligatoire.

5. Points d’actualité et recommandations pratiques

Les dernières décisions de la Cour de cassation (2022-2024) confirment que :

L’enquête interne n’est pas toujours requise si d’autres mesures suffisantes sont prises, mais son absence peut constituer un manquement en cas d’inaction ou si les réponses sont jugées insuffisantes

(Exemple : Suite à l’alerte d’une de ses salariées, l’employeur avait répondu à deux reprises à ses demandes et avait réagi rapidement : une première fois, il avait pris position au sujet de différends l’opposant à sa collègue, et une seconde fois, il avait répondu à ses questions en apportant des éclaircissements. Pour les juges, ces mesures étaient suffisantes, quand bien même l’employeur n’avait conduit aucune enquête interne. [...] La mise en œuvre d’une enquête interne ne constitue donc pas un prérequis pour prouver que l’employeur a bien rempli son obligation de sécurité (Cass. Soc. 12 juin 2024 n° 23-13.975)

La personne en charge de l’enquête ne doit pas être en conflit d’intérêts ou en mésentente avec la personne mise en cause (Cass. Soc. 6 juillet 2022 n° 21-13.631)

Le rapport d’enquête peut servir de mode de preuve valide, même s’il n’a pas été mené par un organe représentatif du personnel, ni n’a entendu tous les collaborateurs (Cass. Soc. 1 er juin 2022 n° 20-22.058)

Le recours à un avocat externe est particulièrement pertinent lorsque la personne mise en cause occupe une fonction de direction ou de top management, ou lorsque l’impartialité de l’enquête menée par un salarié de l’entreprise pourrait être contestée

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